IL FAUT SAUVER LE SOLDAT SCOT EN 5 QUESTIONS

Il faut sauver le soldat SCOT (en 5 questions)
Patrick Salez, ile2re.info, 29 juillet 2015
1) Mais qu’est-ce que le SCOT et est-ce si important ?
Le SCOT (schéma de cohérence territoriale) est essentiel pour l’avenir de notre territoire puisqu’il y détermine l’occupation du sol et la qualité de vie pour les 10 années à venir. Ce document de 470 pages met en cohérence (d’où son nom) les orientations d’aménagement et les principaux projets qui organiseront la vie insulaire: urbanisation, logements sociaux, hébergement touristique, commerces et artisanat, espaces agricoles et naturels et transports. La Communauté de communes (CdC), en charge du SCOT, peut, pour chacune de ces orientations, effectuer de simples recommandations (les « préconisations ») ou bien se montrer plus volontariste en imposant des « prescriptions ». Le SCOT se traduit ensuite dans le Plan d’occupation des sols (POS) de chaque commune. Approuvé en octobre 2012, le SCOT a été contesté en justice par des requérants auxquels le tribunal a donné raison en l’annulant le 9 juillet dernier.
2) Les opposants au SCOT : une petite poignée d’environnementalistes forcenés?
Non. Le recours a réuni 5 associations représentant près de 1000 adhérents et 23 requérants
individuels. Et je ne compte pas les sympathisants qui pour des raisons personnelles n’ont pas
souhaité « être sur la photo ». Les requérants n’étaient ni des ayatollahs verts ni des pyromanes
comme on l’a entendu parfois. Mais plutôt des personnes préoccupées par les risques de sursaturation d’un territoire régulièrement assailli et de plus en plus vulnérable (*) ; soucieuses de la nécessité de concilier vie à l’année, économie touristique et préservation des milieux naturels et des paysages; demandant que l’on fixe quelques limites au développement et que l’on réserve l’essentiel de l’urbanisation aux logements sociaux et à des équipements d’intérêt général convenablement situés. Afin que la qualité de vie se maintienne pour tous et pour longtemps!
3) N’était-ce pas finalement un bon SCOT puisqu’il n’a été annulé que sur la forme ?
Non. Le SCOT a certes été annulé pour des raisons de forme, le tribunal ayant constaté de
sérieuses insuffisances dans l’enquête publique et ses conclusions. Mais cela ne signifie pas pour autant que le fond ait été considéré comme bon. La plupart des SCOT « tombent » en effet sur la forme et en particulier l’enquête publique car les juges ne transigent pas avec le respect de la participation citoyenne. Le motif principal du rejet est bien une question de fond du point de vue de l’aménagement d’un territoire insulaire fragile: la CdC n’a pas souhaité prescrire aux maires la limitation de l’urbanisation et s’est contentée de préconiser une urbanisation maximum de 20 % des dents creuses villageoises (le résiduel constructible). Pour échapper aux prescriptions, elle a transformé, après l’enquête publique, le SCOT post-Grenelle (exigeant du point de vue environnemental) en un SCOT pré-Grenelle (moins exigeant). La CdC a donc adopté un document différent de celui que les citoyens ont examiné et c’est précisément ce tour de passe-passe que les juges ont sanctionné. Se contenter de préconiser une limitation de l’urbanisation, chacun comprend que c’est inutile. Michel Crépeau, dont nul ne contestera le côté visionnaire, affirmait en 1979: « Si un document d’urbanisme n’est pas restrictif, il ne sert à rien. Il n’y aura pas de sauvegarde de la qualité de vie sur l’île sans un minimum de contraintes ».
4) Et maintenant, l’île est-elle livrée aux appétits des promoteurs immobiliers ?
Non, pas plus qu’avant. Dépourvus de SCOT, nous ne sommes pas pour autant dans un vide
juridique car le code de l’urbanisme s’applique, révisé principalement par la loi ALUR (Accès au
logement et à un urbanisme rénové). Cette loi, qui vise principalement la lutte contre l’étalement urbain dans les agglomérations, n’a rien de tragique pour notre territoire puisqu’elle maintient la plupart des outils de maîtrise de l’urbanisation proposés dans le SCOT (secteurs protégés, plans masses, terrains cultivés, espaces boisés classés, protection de l’architecture et du patrimoine). Elle introduit même de nouveaux outils au service de la biodiversité, susceptibles de limiter la densification des constructions (surfaces non imperméabilisées, continuités écologiques). Les POS, régulièrement révisés, restent valables dans les communes. Et la CdC dispose de la compétence d’instruction des permis de construire depuis octobre 2014, celle-ci s’appliquant indépendamment
du SCOT. Cette panoplie d’instruments permet aux élus d’éviter l’urbanisation tous azimuts que
certains nous annoncent, cèdant un peu facilement au catastrophisme. Et faisons un constat : trois années de présence du SCOT avant son annulation ne nous ont pas protégés des excès de la construction. Car les craintes de Michel Crépeau se sont réalisées : 50 % des dents creuses ont été urbanisées au lieu des 20 % préconisées par le SCOT. Alors franchement, un SCOT avec de simples préconisations d’urbanisme ou un SCOT annulé, quelle différence?
5) Et demain n’y a-t-il comme seule solution que de laisser chaque commune se débrouiller ?
Non évidemment. La CdC dispose principalement de trois options :
– Elle peut renoncer à tout document d’urbanisme intercommunal et laisser les communes
souveraines pour transformer leurs POS en PLU (Plans locaux d’urbanisme) . Au risque d’un
manque de cohérence des prescriptions entre les dix communes, que les services de l’État tenteront de corriger. Et avec un défaut majeur : le saucissonnage par commune des projets d’intérêt insulaire tels que la relance d’une agriculture raisonnée et la gestion des espaces naturels, dont s’empare enfin la CdC et qui n’auront de sens qu’à l’échelle inter-communale ;
– Elle peut ressusciter le SCOT en l’adaptant au Grenelle 2 et à la loi ALUR ; les élus ont déjà
plusieurs cartes en main pour ce faire : SMVM (schéma de mise en valeur de la mer) conciliant les
usages de la mer, diagnostic agricole exprimant les besoins de développement de l’activité,
évaluation environnementale et estimation de la capacité d’accueil. Il faudra prescrire une
limitation de l’urbanisation des dents creuses restantes. Et conditionner la constructibilité et les
activités économiques aux risques de submersion marine en prenant en compte le PPRN (plan de prévention des risques naturels) ;
– Elle peut choisir une voie nouvelle en élaborant un PLUi (Plan local d’urbanisme
intercommunal) ; cela exigera le transfert de la compétence urbanisme à la CdC et une
mutualisation des projets, très en vogue pour mettre fin à une compétition coûteuse entre
communes. Un PLUi offrira l’avantage de la simplicité puisqu’il contient en un seul document les objectifs d’aménagement d’un SCOT et la gestion opérationnelle des PLU. Et il autorisera une approche différente entre ex-cantons Sud et Nord, dont la démographie, les emplois et la mobilité des personnes n’ont plus grand-chose à voir aujourd’hui.
(*) : par rapport à sa capacité d’accueil, c’est à dire la population maximum qu’il peut accueillir
sans que ses ressources et sa qualité de vie ne soient altérées.