Tourisme sur l’Ile de Ré : la stratégie du poisson-lune par Patrick Salez

Tourisme sur l’île de Ré : la stratégie du poisson-lune !

 

 

L’île de Ré figure parmi les 52 destinations privilégiées des américains, les bus allemands Flixbus sont à La Rochelle et arrivent bientôt sur l’île, la compagnie Flybe augmente son offre sur les vols en provenance d’Angleterre, la communication dans le métro parisien est un succès, l’accueil de la Rioja ouvrira notre destination au marché touristique espagnol…Les journaux nous le confirment, l’île est particulièrement attractive et son avenir touristique florissant !

 

Joli paradoxe : on se plaint que les médias diffusent systématiquement une image « people » de l’île et on en organise, en parallèle, la promotion touristique la plus people qui soit. Que dire en effet du folklore organisé autour de l’accueil de l’équipe espagnole de la Rioja et de l’hispanisation des noms de nos dix communes ? Les jeunes passionnés de foot trouvent leur compte dans cet accueil et c’est une bonne chose. Il n’était pas nécessaire, pour autant, de « stariser » l’île à ce point.

 

Jusqu’en 2008-2009, le tourisme représentait un levier de développement à peu près équilibré. Les dangers du tourisme de masse sont apparus avec les records de passages du pont et les premiers signes de sur-fréquentation. Un schéma de développement touristique (2011) a alors tenté de combiner des approches quantitative et qualitative et proposé de limiter (très timidement) l’essor des capacités d’hébergement dans le SCOT (schéma de cohérence territoriale). Mais Destination île de Ré , la société publique locale en charge du tourisme intercommunal établie début 2016, a choisi la voie radicale du tourisme quantitatif. A coups de stratégies de marque, de marketing territorial, de remplissage et d’extension des ailes de saison. En visant le tourisme d’affaires, voire la construction d’un casino : comme si La Rochelle n’y suffisait pas. Et ce, sans consulter la population sur un choix fondamental pour l’avenir de l’île. Les décisions récentes sur la taxe de séjour forfaitaire (voir mon article à ce sujet) sont d’ailleurs très symboliques de cet arbitraire.

 

Le poisson-lune présente la particularité de croître sans discontinuer jusqu’à sa mort. Le « toujours plus » touristique de Destination île de Ré  risque de détruire le territoire, tel un poisson-lune. En asphyxiant les routes, en engorgeant les parkings et les pelouses qui les complètent, en sacrifiant la qualité de vie de nombreux résidents au bénéfice des vacanciers. En baléarisant (*) l’île !

 

On enregistrait + 6 % de véhicules pour le pont de l’Ascension 2016 par rapport à 2015, avec des temps d’entrée et de sortie de 3-4 heures. Et les tendances à venir sont à l’afflux massif: touristes européens renonçant à l’insécurité des rives sud-méditerranéennes; touristes chinois avides de photographier nos trésors patrimoniaux ; hordes grandissantes de campings-cars ; nouveaux excursionnistes (touristes à la journée) parmi les 100.000 habitants supplémentaires prévus pour 2040 en Charente-Maritime. Ils viendront tous, sans besoin d’actions de promotion ni d’« ambassadeurs du territoire » formés aux dernières techniques de communication.

 

On pouvait lire dans le Phare en mai dernier : « il faut vendre l’île de Ré .. et susciter le désir de consommer ». Et bien non, un territoire n’est pas à vendre, n’est pas un bien consommable. L’aménagement de notre territoire exige simplement que l’on valorise ses atouts en respectant ses ressources, ses équilibres, sa capacité d’accueil. Que l’on développe un tourisme qualitatif et durable, faisant vivre raisonnablement les personnes dont le métier en dépend. Tout en diversifiant l’économie: relance d’une agriculture, saliculture et ostréiculture de qualité, services à la personne, expérimentation en recherche marine et énergies renouvelables, etc.. Bref, un aménagement maîtrisé. Tout le contraire du poisson-lune !

 

Patrick Salez (juin 2016)

 

(*) : baléarisation : phénomène de saturation d’un littoral par le tourisme ; occupation et partage inappropriés de l’espace en situation de demande touristique excessive.